Un débat politique, scientifique et citoyen : état des lieux de notre agriculture

On le sait, la disparition de nombreuses fermes en Belgique, en Europe et dans le monde est une réalité inquiétante qui soulève de nombreuses questions politiques, sociétales mais aussi citoyennes. Voilà pourquoi, un grand débat réunissant des acteurs de tous bords a été organisé dans le cadre du festival Nourrir Liège. Ce dernier, qui pose la question de la transition agricole, représentait une occasion unique de réunir un panel d’intervenants autour de la thématique de l’agriculture. Ainsi, ce sont plus de 300 personnes qui se sont rendues au Complexe Opéra de l’ULG samedi 18 mars pour y écouter le monde politique, scientifique mais aussi celui de la société civile débattre au sujet de leurs visions et constats de l’agriculture d’aujourd’hui.

Le débat, structuré en deux parties, a d’abord vu Messieurs Borsus [1], Georges[2], Tarabella[3], De Schutter[4] et Desgain[5] exprimer leur vision de l’agriculture et leurs marges de manœuvre respectives dans l’orientation des politiques agricoles. Par la suite, le débat a laissé place à Madame Mertens[6] et Messieurs Stassart[7] et Chapelle[8]qui se sont exprimés sur la manière dont le monde de demain se prépare dès aujourd’hui. Enfin, Monsieur Biteau[9] a conclu la soirée tout en y apportant son expérience personnelle de paysan-agronome-élu. Si ce grand panel d’acteurs n’a pas permis à chacun de s’exprimer longuement, il a en revanche obligé ceux-ci à aller droit au but dans leurs interventions, permettant ainsi au public de prendre connaissance des arguments de chacun dans un laps de temps très court. De plus, la présence d’un représentant politique pour les niveaux de pouvoir régionaux, fédéraux et européens a sans nul doute enrichi l’approche.

Les interventions ont mis en évidence certains sujets qui, bien loin d’opposer le monde scientifique, politique et celui de la société civile, créent au contraire des ponts entre eux. Nous retenons en particulier le dialogue nécessaire entre les agriculteurs, les consommateurs, les citoyens ainsi que l’interaction entre les niveaux locaux, régionaux, fédéraux et européens.

Par ailleurs, la nécessité de faire un choix en termes de modèle agricole, introduite par Monsieur Desgain et reprise par plusieurs intervenants, a également été abordée. Un choix attendu de la part du politique en faveur d’une agriculture qui ne serait pas uniquement destinée à l’exportation, d’une agriculture solidaire, durable, de transition. Ce choix est crucial aujourd’hui, alors que nous assistons à la disparition de nombreuses fermes, les coûts d’exploitation ne cessant d’augmenter tandis que la rémunération, elle, ne cesse de diminuer. Alors que l’article 39 du Traité de Lisbonne reprend les objectifs de la PAC, Monsieur Tarabella a précisé que l’objectif visant à « assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture », n’était plus respecté. Selon Monsieur Georges, s’il y a des pratiques vers lesquelles il faut se diriger, le choix d’un seul modèle agricole n’est pas pour autant nécessaire car différents types d’agricultures peuvent être complémentaires et ainsi coexister.

Au sujet des prix qui semblent plus élevés lorsqu’on souhaite acheter des produits de qualité locaux, Monsieur De Schutter a déclaré ceci : « Notre société a développé une économie alimentaire low-cost qui n’a pas intégré les externalités négatives, ce qui a conduit à de nombreuses conséquences : environnementales, sociétales, de santé publique, sur le Sud, etc. ».  Selon Monsieur de Schutter, ces différentes crises agroalimentaires auxquelles nous faisons face sont des opportunités à saisir pour se lancer dans une transition à l’heure où nous sommes lancés dans une course contre la perte de la biodiversité, la dégradation des sols, les ruptures climatiques, la disparition des fermes familiales, l’obésité, la maladie, etc. Dans ce sens, Monsieur Borsus a également souligné le fait que les crises impliquant une certaine volatilité des prix, l’opinion publique en faveur des agriculteurs et la PAC à l’horizon 2020 sont des fenêtres d’opportunités pour faire « bouger les lignes » bien que de nombreuses voix favorisent le « tout au marché ».

Que faire face à cette situation dans laquelle se trouve notre agriculture ? C’est la réflexion qui a été proposée par trois acteurs. Tout d’abord, Madame Mertens a mis en avant le passage d’un comportement individuel à un comportement collectif par le biais d’initiatives citoyennes qui mettent en commun des moyens pour prendre en main l’avenir. Ensuite, Monsieur Stassart a explicité les trois enjeux importants dont il faudra tenir compte dans l’élaboration de scénarios sur l’avenir de notre système agroalimentaire : le système alimentaire, la territorialisation et la formation (la plupart des savoirs ne sont plus produits par les universités). Enfin, Monsieur Chapelle a souligné la nécessité d’élaborer dès aujourd’hui, une agriculture post-pétrole.

Durant toute la durée du débat, le public était invité à écrire les questions qu’il souhait poser aux intervenants. Preuve de la richesse du sujet, une quarantaine de questions ont été récoltées (voir ci-dessous)! Les intervenants se sont engagés en fin de débat à répondre à chacune de ces questions par écrit et nous publierons ces réponses sur le site de la Ceinture Aliment-Terre liégeoise dès que nous les aurons reçues.

Nous remercions l’ensemble des intervenants pour leur présence car une chose est certaine, le citoyen est demandeur de ce genre de rencontre durant lesquelles le politique, le monde universitaire et la société civile ont l’occasion d’échanger leurs avis, conseils et expériences. Si le monde agricole connait une crise aujourd’hui, nous étions désireux de contribuer à ce qu’elle ne se déroule pas en silence afin de lancer un discours de solutions et d’espoirs pour les agriculteurs qui nous nourrissent et, nous l’espérons, continuerons à le faire demain.

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[1] Willy Borsus : ministre fédéral de l’agriculture.

[2] Benoit Georges : représentant René Collin, ministre de l’agriculture.

[3] Marc Tarabella : député européen et bourgmestre d’Anthisnes.

[4] Olivier De Schutter : professeur à l’UCL, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation.

[5] Stéphane Desgain : CNCD 11-11-11, chargé de recherche et plaidoyer sur la souveraineté alimentaire.

[6] Sybille Mertens : professeur à HEC-ULG, Titulaire de la Chaire CERA « entrepreneuriat social et coopératif ».

[7] Pierre Stassart : professeur à l’ULG, président du Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agroécologie du FNRS (GIRAF).

[8] Gauthier Chapelle : Essayiste (« Le vivant comme modèle »).

[9] Benoît Biteau : paysan agronome, trophée national de l’agriculture durable 2009 (France).

 

– — – – – -LISTE DES QUESTIONS DU GRAND DEBAT – – – – –  –

Pour M. Tarabella

  • Vous dites vouloir soutenir l’agriculture, mais comment comptez-vous soutenir les agriculteurs qui pratiquent une agriculture alternative au vu de la lourdeur des cahiers des charges pour les plus petits ? Prenons l’exemple des semences paysannes, est-ce normal que l’artisan doit payer 1000€ de frais pour introduire dans la « liste » européenne de légumes autorisés, une variété disparue ? De même, comment peuvent-ils réellement assumer par exemples les charges phytosanitaires vers lesquelles l’Europe se dirige ?

 

  • Vous parlez de réguler l’aide à l’agriculture, mais ne faudrait-il pas assainir les bénéficiaires ? Pourquoi de grosses entreprises en bénéficient encore ?

 

  • Selon vous, tout (100%) ne peut pas passer en circuit court. Quelle est la part irréductible ? Quels produits ?

 

  • En Amérique Latine, l’agriculture urbaine et péri-urbaine fait partie intégrante de politiques municipales/gouvernementales visant la sécurité alimentaire et la réduction des inégalités sociales dans les villes comme la Havane au Rosario. De tels programmes d’agriculture urbaine et péri-urbaine émanant des autorités pourraient-ils être appliqués en Europe ? Quelles sont les limites et enjeux de l’agriculture urbaine et péri-urbaine en Europe ?

 

  • Comment expliquez-vous que les aides européennes reviennent aux grands propriétaires terriens (la Reine d’Angleterre ou le Prince de Monaco) ?

 

  • Vous dites que les jeunes reçoivent des aides pour l’installation en bio alors qu’on sait que proportionnellement elles sont plus faibles qu’en conventionnel, étant donné la puissance des lobbys à l’Europe. Que pensez-vous que l’on peut faire pour changer cela ?

 

  • (Problème des aides de la PAC). N’est-il pas préférable de penser à un autre système, permettant une réelle aide aux agriculteurs belges et sans oublier les pays du sud ?

 

  • Quel est le rôle de l’action publique pour diminuer « l’entre-soi » des agriculteurs et intégrer/rapprocher les consom-acteurs ?

 

  • Que faites-vous concrètement à l’Europe pour mettre en place les idées que vous avancez (par exemple reréguler les marchés, augmenter l’autosuffisance alimentaire les aides contra cycliques, etc.) ?

 

  • A quand l’interdiction du Glyphosate ?

 

Vous avez déjà répondu à cette question mais si toutefois vous souhaitez apporter une réponse écrite, c’est tout à fait possible.

 

 

Pour Benoît Georges/ M. Collin

  • Vous proposez parmi les solutions alternatives de pratiquer le maraîchage pour les jeunes afin de changer les pratiques, les modes de production. Savez-vous combien de temps il faut pour commencer à être réellement rentable ? De même, si l’on réfléchit en termes de coûts, cette bouche supplémentaire à nourrir est obligé de s’endetter à de gros montants pour pouvoir pratiquer. Est-ce réellement faisable ? Ne sommes-nous pas face à un mur ?

 

  • Quel est le rôle de l’action publique pour diminuer « l’entre soi » des fermiers et intégrer/rapprocher les « consom’acteurs » de ces fermiers ?

 

 

  • Quel est votre avis sur la non-taxation des transports et notamment du kérosène ?

Et de la mise en concurrence de produits agricoles qui viennent de milliers de km et qui sont revendus ici moins chers que ceux produits chez nous ?

Il y a plus de 10 ans, Pierre Ozer proposait les vignettes « avion rouge » à placer sur les produits qui viennent par avions …

 

 

  • L’agriculture conventionnelle, toujours majoritaire, fait beaucoup d’efforts pour répondre aux exigences nationales/européennes concernant la protection de l’environnement en suivant des référentiels de bonnes pratiques de production. Cela passe par une diminution de l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques. Le choix de ces utilisations est pourtant basé sur des observations et analyses de risque. consommateur ne connait pas tous ces efforts effectués.
  • Le bio a bonne presse et c’est bien ainsi mais le conventionnel tente aussi d’améliorer son image.

Une promotion des efforts effectués ne devrait-elle pas se mettre en place pour informer le consommateur-citoyen ? Si oui, QUI va le faire ?

 

  • Plutôt que de refaire l’histoire de la PAC et une lecture du code wallon de l’agriculture, pouvez-vous présenter des mesures concrètes, réfléchies à long terme pour de nombreux agriculteurs présents ici aujourd’hui ?

 

  • Vous préconisez soutenir une agriculture à taille humaine, les circuits courts et les agriculteurs locaux. Mais l’AFSCA détruit des produits du terroir comme des fromages (Herve), des tartes (riz) en imposant les normes des multinationales qui respectent très peu l’agriculteur. Votre réaction face à cela ?

 

Pour Stéphane Desgain

  • Pouvez-vous revenir sur l’importance capitale de la construction de souveraineté alimentaire des populations ?

 

Pour Willy Borsus

  • Quel est le rôle de l’action publique pour diminuer « l’entre soi » des fermiers et intégrer/rapprocher les « consom’acteurs » de ces fermiers ?

 

  • Quels sont les arguments qui soutiennent la nécessité de l’exportation pour la survie de l’agriculture belge ?

 

  • Vous avez parlé :

 

  1. d’une agriculture essentiellement nourricière : quid du bio-diesel ?
  2. d’une agriculture respectueuse de l’environnement : pourquoi développer la culture de maïs qui déstructure le sol et engendre de l’érosion?
  3. de la recherche de terre alors que les terres riches de Hesbaye sont phagocytées par des supermarchés, des lotissements, des industries

 

  • Quelle vision pour la Belgique dont les compétences sont déjà tellement morcelées ?

 

  • Agir en tant que citoyen c’est bien. Mais à quel moment comptez-vous utiliser vos compétences pour faire évoluer ce système qui a besoin d’évoluer à l’évidence ?

 

  • Vous dites, la triple volatilité des prix est dommageable. En quoi le CETA que vous avez soutenu va-t-il aider dans ce cas ?

 

  • Des publicités pour un roti de porc en promotion à 3€90/kg (moins cher que le kilo de légumes non travaillés) est-il dommageable selon-vous ?

 

  • N’y a-t-il pas une antinomie fondamentale entre la pensée libérale du gouvernement et le protectionnisme agricole qui doit nécessairement faire partie de la rééducation alimentaire du citoyen, soulevée par Messieurs De Schutter et Desgain ?

 

  • L’agriculture conventionnelle, toujours majoritaire, fait beaucoup d’efforts pour répondre aux exigences nationales/européennes concernant la protection de l’environnement en suivant des référentiels de bonnes pratiques de production. Cela passe par une diminution de l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques. Le choix de ces utilisations est pourtant basé sur des observations et analyses de risque. consommateur ne connait pas tous ces efforts effectués.
  • Le bio a bonne presse et c’est bien ainsi mais le conventionnel tente aussi d’améliorer son image.
  • Une promotion des efforts effectués ne devrait-elle pas se mettre en place pour informer le consommateur-citoyen ? Si oui, QUI va le faire ?

 

  • Comment peut-on encore soutenir un modèle de production agricole traditionnel, consommateur de pesticides et d’énergies fossiles à un niveau inacceptable ? Il est schizophrénique de dire, d’une part que l’on soutient toutes les formes d’agriculture et d’autre part, que l’on agit pour la sauvegarde de l’environnement. Nous choisissons un mode de production basé sur l’agroécologie et nous le voulons ASAP.

 

  • Quel est le rôle de l’action publique pour diminuer « l’entre-soi » des agriculteurs et intégrer/rapprocher les consom-acteurs de ces agriculteurs ?

 

  • L’agriculture « mainstream » est largement soutenue. Comptez-vous faire le CHOIX de soutenir à l’avenir d’avantage les initiatives nouvelles et plus durables ?

 

  • Pourquoi ne valorise-t-on pas la qualité de notre agriculture chez nous auprès du grand public ? En effet, l’AFSCA impose de nombreuses contraintes à nos agriculteurs qui ont, de ce fait, des produits d’une qualité supérieure aux produits importés. Pour le consommateur, il est souvent très difficile de repérer les produits issus de notre agriculture belge. En contrepartie des contraintes imposées, nos agriculteurs pourraient et devraient être défendus avec énergie auprès du grand public, ce serait la moindre des choses.

 

  • A quand l’interdiction du Glyphosate ? Vous avez déjà répondu à cette question mais si toutefois vous souhaitez apporter une réponse écrite, c’est tout à fait possible.

 

Pour Olivier de Schutter

  • Quel est le rôle de l’action publique pour diminuer « l’entre soi » des fermiers et intégrer/rapprocher les « consom’acteurs » de ces fermiers ?
  • Pensez-vous que certains emplois sont en train de disparaitre à cause de la robotisation ? Pensez-vous que la robotisation soit compatible avec les nouvelles agricultures ?
  • Vous parlez de l’agroécologie comme pouvant nourrir le monde. Est-ce que cela inclus la production au niveau des pays développés qui sont toujours massivement impliqués dans l’agriculture conventionnelle ? comment changer de direction, est ce même envisageable de revenir à une petite agriculture paysanne ?

 

Pour Sybille Mertens

  • Sybille Mertens a parlé de Libre marché, or l’agriculture n’est pas un marché libre ; les productions sont subventionnées – un modèle est subventionné (PAC). Comment rééquilibrer les subventions ? Comment soutenir l’agroécologie au moins au même titre que l’agriculture industrielle ? Des engagements politiques à ce propos ?

 

  • Comment développer l’exploitation familiale dans un système économique qui est encore dominé par les entreprises transnationales ?

 

Remarques et constats récoltés à la suite du débat :

  • Claude Bourguignon : « On ne fait plus de l’agriculture mais on gère de la pathologie végétale ». Quid du grand oublié de ce débat : sol ?
  • Craintes pour la santé, alliances avec les pouvoirs publics, etc.